L'Arrangement - revue de presse (éloge funèbre)
Le premier roman d’Amandine Carini, L'Arrangement, emporte un déluge d'éloges critiques : petit florilège.
« Une course existentielle où l’art d’écrire rejoint l’art de vivre. De vivre libre et sans compromis. Dans la lignée des grandes auteures italiennes, à l’avant-garde du féminisme contemporain » - Le Monde des livres
« Amandine Carini nous surprend à chaque page, par l’originalité de son style qui rejoint sa soif inextinguible de liberté » - L’Obs
« Le journal d’une jeune fille arrangée. Quand le néo-féminisme tire à boulets rouges. Éjaculatoire ! » - Libération
« Un chef d’œuvre ! Et d’une inconnue du monde germanopratin! Une découverte ! Qui aurait pu décrire avec autant de justesse les grands désordres de notre temps ? Enfin, la littérature ose. Enfin voilà mis en pleine lumière les ravages du néolibéralisme. Carini s’approche des précaires, des invisibles et des sans-dents avec la tendresse des empathiques et la générosité des révoltées. Bravo Camarade ! » - L’Humanité
« On en reste déconfits ! Deux filles qui ont du coffre ! Fortes comme du rhum arrangé ! » - Le Canard Enchainé
« Raide comme du Despentes, en plus bandant ! La relève des nouvelles, on kiffe grave ! » - Les Inrocks
« Oubliez les premières difficultés stylistiques, et laissez-vous embarquer dans une histoire insolite, pleine de bruit, de fureur et d’amours tourmentés. Comme une promenade en mer. À déconseiller cependant aux moins de douze ans » - Télérama
« On est là, on est là ! Faites gaffe les mecs, vous allez passer à la caisse, Carini débarque ! » - Causette
« Un ovni, une pépite littéraire. Prenez vite la route avec elle, n’attendez pas Noël ! » - Le Journal du Dimanche
« De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace. Une écriture dérangeante mais qui bouleverse ! » - Le Figaro Littéraire
« Amandine Carini retourne les codes du roman noir. Quand les femmes flinguent, c’est jouissif » - Politis
« Elle est irrévérencieuse. Elle est émancipatrice. Elle est jubilatoire. C'est la Littérature, évidemment ! » - Augustin Trapenard, La Grande Librairie
« La femme est l’avenir de l’homme, surtout dans la littérature française » - La Libre Belgique
« Un roman cru, excitant comme un french-kiss » - Le New-York Times
Alors, les choses auraient pu se passer comme ça....
Il n'en est rien, et toutes ces citations sont un total artifice – les signatures que nous empruntons nous pardonneront, j'espère, ces facétieux pastiches, puisqu'ils savent ce que la satire doit à la caricature, et que rire de soi est signe d'intelligence.
L'Arrangement n'a rien obtenu de ces mentions – ou pas encore ? Oui, les choses pourraient venir, encore. Le livre est paru en mars, mais après tout, la littérature ne se périme pas, n'est-ce pas ? L'auteur, lui, avant que d'être déifié par un passage en Pléiade, une onction extrême sur les plateaux TV, est mortel, hélas. Et plus encore qu'il ne le croit. On vous explique.
Amandine Carini n'a pas écrit ce livre. D'ailleurs, Amandine Carini n'existe pas.
Ce roman est signé de Gilles Verdet, qui fêtera ses 71 printemps en juillet prochain et, qui, rassurez-vous, se porte comme un charme, merci pour lui. Oh, ce n'est pas le perdreau de l'année. Il a déjà nourri les catalogues de Gallimard (Série noire), de Buchet-Chastel, du Rocher et de l'Arbre vengeur, pour ne citer qu'eux. Emporté des prix, Prométhée ou SGDL. Mais en fait, c'est ça le problème : Gilles Verdet n'est pas le perdreau de l'année.
Car sitôt L'Arrangement flanqué de son point final, ce coquin d'auteur s'est affublé d'une identité fictive – les écrivains ont l'habitude d'inventer des tas d'histoires. Il s'appelle Amandine Carini, 30 ans à peine, et L'Arrangement est son premier roman. Et il envoie son texte à ses éditeurs habituels.
En seulement quelques jours, les propositions d'édition affluent. De sa vie, Gilles n'a jamais expérimenté un tel engouement. Il en est sonné. Abasourdi. Enivré. Il perd la tête : décide de réintégrer son corps et tombe le masque. Explique aux éditeurs, l'un après l'autre, que ce roman est l’œuvre d'un septuagénaire au physique de marathonien, et non d'une jeune femme accorte qui puisse présenter le visage de la « diversité » comme on dit pudiquement. Que n'avait-il fait... ? Les éditeurs, les uns après les autres, retirent leur offre.
C'est ainsi qu'un très beau roman finit sa course dans la boîte-aux-lettres d'un obscur éditeur sis au fin fond du Béarn. Ici, on ignore superbement le CV des postulants. Comme leurs antécédents médicaux. Leur plastique, on s'en cogne. Leur sexe, leurs manies, la race de leur chien, la couleur de leur frigo, aussi. La stratégie hyper-capitaliste du jeunisme éditorial, pareil. On ne parie pas sur des « valeurs montantes » pour un investissement à 30 ans, parce que 30 ans, hein, c'est loin, si on est encore là dans 5 ans, ma foi, c'est pas trop mal. C'est notre côté gilet jaune. On ne construit pas non plus des plans de comm' fondés sur la télégénie de nos génies - de toute façon ils ne passent pas à la télé.
Ajoutez que L'Arrangement est un roman féministe, dans lequel se vengent des femmes, vous comprendrez mieux encore qu'il était plus simple d'imaginer une autrice qu'un auteur derrière tout ça. Vous voyez, le grand Flaubert s'en défendrait encore un siècle plus tard : « Amandine Carini, c'est moi ! »
Bénéficiant d'une aussi minable stratégie de promo, faut-il encore s'étonner que Gilles Verdet n'ait pas non plus les faveurs de la presse ? Qu'il se console : il a fait en quelque sorte une expérience extracorporelle. C'est drôle. Un auteur devrait toujours en passer par là au moins une fois dans sa vie – après tout, c'est ce qu'il propose à son lecteur. Chaussez la peau d'Amandine – car c'est aussi le nom de l’héroïne du roman - et de sa copine, et faites un sort à L'Arrangement. C'est tout le mal qu'on vous souhaite. Ça s'appelle : lire de la littérature.