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Jokers – Hervé Mestron

Vient de paraître le savoureux « Jokers » d'Hervé Mestron, une plongée dans la banlieue, sur les pas de son bondissant personnage, Ziz. Véritable phoenix, notre guide ne cesse de se réinventer, vaille que vaille, à mesure que l'avenir, qu'il tâche de se construire, cède sous le béton défoncé des cités.

Vous ne pleurerez pas sur Ziz, et sa pauvre carcasse, que pourtant l'auteur malmène. Il y laisse sa peau, littéralement, mais se retrousse les manches et bondit sur chaque opportunité qui se présente pour gagner de quoi survivre, quitte à s'embarquer dans les plans foireux de son mentor et frère de lait, Dick, le pote de maternelle. Non, vous ne pleurerez pas, vous vous attacherez, sans doute, et derrière son obstination, vous trouverez peut-être même une forme d'innocence, une pureté attendrissante. Parce qu'il ne ménage pas ses efforts. Ziz, c'est le mec qui a le sens du travail bien fait. Du bûcheur. Un rapport d'engagement au travail. Dans les jobs et trafics qu'il va trouver, qu'il soit balance, dealer, ou mafieux, se lisent aussi les évolutions du capitalisme néo-libéral tel qu'il se déploie juste à côté, dans les tours de la Défense, mais débarrassé des hypocrites oripeaux du costume trois-pièces et des mocassins à bouts pointus. Florilège :

« Mais parfois j'ai l'impression d'être un type bien. Les condés ils me l'ont dit, avec toi, Ziz, il n'y a jamais de problème. Tu es quelqu'un de sérieux et nous les mecs clean on aime bien travailler avec. Ils le disent mais ils ne le pensent pas. Mais moi je le sais, je fournis toujours des renseignements exploitables. Quand je rédige un rapport, je fais attention aux fautes, c'est une façon pour moi de montrer que je respecte mon employeur. »

« Mais quand cette conne d’Amina se pointe chez Dick pour acheter sa dose, je me dis que j’ai une partition à jouer. Ça y est, je reprends des couleurs. Je la vois danser sur ses deux jambes, pas trop en manque mais un peu quand même avec son billet de 50 qui tremble entre ses doigts. Jubilation. Étant pour ainsi dire le bras droit du boss, habilité à gérer le stock de poudre. Attention, ici, ce n’est pas un four. C’est fini le business. On vend juste aux voisines, aux filles de la cité. Celles qui ont renoncé à se battre ont plongé dans la schnouff. C’est pour la bonne ambiance générale qu’on fournit du matos, pour pas qu’une personne en manque se jette par la fenêtre ou égorge un enfant. Si tu veux, on est comme une pharmacie de garde, sans la croix verte qui clignote dehors. »

« Avant, tu avais des hypers spécialisés dans les organes. Souvent aménagés dans des caves d’HLM, avec des frigos partout, un éclairage au néon, et un employé de caisse en fin de parcours. Les gens arrivaient, ils disaient, tiens, aujourd’hui je prends du foie, puis le lendemain, ils revenaient pour acheter une prostate en solde. Il y avait soi-disant une traçabilité, mais en réalité, c’était du pipeau. Alors les gens ont commencé à snober les hypers, préférant dealer directement avec les petites enseignes. Depuis le scandale des élevages d’humains dans le Gers, simplement pour leur piquer de quoi ressusciter les riches, la grande distribution a perdu toute crédibilité. Imagine, tu te fais greffer le foie d’un mec qui ne voit jamais le jour ailleurs que dans des lampes, et qui bouffe de la cortisone en se chiant dessus toute la journée. Ça t’intéresse ? »

 On rit, beaucoup, on apprend, aussi, et on porte un autre regard sur ladite « banlieue » et les gonz des cités. Adoptez Ziz en tour-operator, vous ne serez pas déçu du voyage.

Après Maître de cérémonie, voici les nouvelles aventures de Ziz, bouffon du bitume : Jokers.

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