Tragédie collective, silence familial
Ce qui séduit le lectorat de Gilles Vincent, c'est qu'il emmène. Dès les premières pages de la fiction, dès les premiers mètres, la charge est amorcée, le lecteur embarqué : on déroule. Pourtant, cette fois, ce n'est pas dans l'action d'un polar bien troussé, dopé par l'adrénaline d'une brigade de policiers. Dans la douleur du siècle est une investigation de l'intime, de la mémoire, jusqu'au gouffre de la shoah.
C'est à travers l'histoire d'une famille, et la très exacte relation entre un père, Léon, et son fils unique, Samuel, la cinquantaine, que s'incarne le crime nazi. Depuis des années, Léon a décidé de se taire. Son enfant, Samuel, se sent abandonné. Jusqu'à ce qu'un événement fasse voler ce silence mortifère en éclat.
Comme un saumon qui remonte la rivière, voilà que nous suivons les liens du sang et que nous parcourons le siècle jusqu'à la faille initiale, 1944, le moment de l'indicible. Après cette délation insupportable, celle qui conduit un groupe d'enfants aux camps de la mort, dans cette partie de France dite libre, tous sont demeurés sans voix, témoins terrassés de honte et de culpabilité, et le coupable ne fut pas jugé.
Dans la douleur du siècle évoque avec beaucoup de pudeur la Déportation. De ce drame absolu, dont nous sommes les héritiers encore si proches, deux générations seulement plus tard, nous ne sommes pas revenus, et c'est ainsi peut-être qu'il faut assumer l'histoire.
Gilles Vincent nous conduit à cette démarche avec une infinie délicatesse, empruntant l'apparence anodine d'une famille, un petit coin de Béarn, ses pavillons, ses maisons de retraite. À travers cette apparente banalité, l'auteur nous apprivoise, nous rassure, nous prépare à recevoir l'émotion du drame. Il nous ménage, non pas pour amoindrir les faits, mais à l'inverse, pour que nous gardions les yeux bien ouverts, et que nous prenions l'exacte mesure de l'horreur.
Le silence, est-il coupable, est-il pudique ? Un roman bouleversant qui renvoie à notre histoire collective comme à nos trajectoires familiales personnelles.